La reproduction des collemboles peut, suivant les espèces, être sexuée (mâle et femelle) ou asexuée (parthenogénèse). Considérés comme des animaux primitifs, certains d'entre eux révèlent pourtant des comportement évolués, variés et adaptés à divers biotopes.

Sur le principe, le mâle dépose une ou plusieurs minuscules tiges surmontées d'une sphère, nommées spermatophores (ci-dessous, spermatophore de Dycirtomina ornata f.couloni)4. La sphère qui contient les spermatozoïdes est protégée par un revêtement brillant et blanchâtre.

La femelle vient ensuite poser son orifice génital sur cette "goutte" et stocke le sperme dans un réceptacle avant fécondation des œufs. On a observé des variantes suivant les lieux et les taux d'hygrométrie qui conditionnent la vitesse de dessèchement du sperme.

Ci-dessous 4, orifice génital (papille) d'un Poduromorphe Deutonura monticola (photographie réalisée à la loupe binoculaire x160).

Les stratégies adoptées par les collemboles visent généralement à réduire la durée d'exposition du sperme à l'air libre. Par exemple, chez les Orchesella, la transmission s'effectue dans ce que J-M Betsch1 nomme "l'indifférence entre les deux sexes", toute proportion gardée, car la femelle d'une espèce ne peut pas se tromper en récupérant le sperme d'une autre espèce. En effet, le mâle prend soin de signer son sperme avec une substance propre à son espèce. La diminution d'activité de cette substance marque également la durée de vie d'un spermatophore qui n'excède pas quelques heures dans le meilleur des cas ou bien moins si les conditions extérieures sont défavorables.

Lorsqu'un spermatophore n'est plus propre à la fécondation il est dévoré par le mâle qui en dépose un nouveau. On notera que, dans certains cas, les mâles se retrouvent en situation de concurrence et n'hésitent pas à dévorer les spermatophores de leurs congénères lorsqu'ils en croisent sur leur chemin.

Parades amoureuses :

Chez Podura aquatica (ci-dessous à gauche), vivant à la surface des mares, le mâle (vert) dépose trois ou quatre spermatophores en arc de cercle (points rouges) à côté d'une femelle qu'il va ensuite pousser énergiquement vers eux. Dans ce cas on peut y voir une ébauche de parade. Chez les collemboles dits globuleux (Symphypléones), la relation entre mâle et femelle se limite aux préliminaires. Devant la femelle, le mâle dépose des spermatophores, si la femelle est réceptive elle place son orifice génital sur un des spermatophores pour l'absorber et dans le cas contraire, elle passe son chemin et, dans ce cas, les spermatophores sont perdus.

La stratégie mise en place par le Dicyrtomina minuta est assez originale : le mâle encercle la femelle avec plusieurs spermatophores de telle sorte que la femelle ne puisse faire autrement que de les heurter en se déplaçant.

Le Sminthurus viridis (ci-contre)2 est plus économe, il ne dépose qu'un seul spermatophore, vers lequel il poussera ensuite la femelle qui le stockera dans ses parties génitales. Par la suite, la femelle pondra l'œuf fécondé en le déposant sur le substrat (ovoposition) après l'avoir recouvert par une sorte d'enveloppe de matière fécale qui aura pour rôle de le protéger de la dessiccation, mais également de certains prédateurs comme les acariens ou des attaques fongiques. Le schéma ci-contre décompose le processus de ponte de la femelle : D'abord la femelle commence sa ponte en expulsant l'œuf (bleu) tout en le conservant suspendu à l'entrée de ses parties génitales (a) puis, elle commence à déféquer (b) avant de mettre l'œuf en contact (c) avec ses excréments (jaunes). Enfin elle confectionne l'enveloppe qui recouvre l'œuf (vert) par une succession de mouvement (d, e) puis elle le dépose et effectue un balancement latéral pour lui permettre de se détacher(g). On peut noter que ces excréments sont très riches en particules minérales absorbées au préalable par la femelle et qui ont transité sans peine dans son système digestif.

Chez l'espèce Allacma gallica, (ci-contre)2, le comportement se découpe en trois phases : le mâle (bleu), dépose un ou plusieurs spermatophores puis, il se rapproche de la femelle en la contournant pour se positionner face derrière elle puis, il la pousse vers le ou les spermatophores puis, il s'éloigne tandis qu'elle va les mettre en contact avec ses organes génitaux.

Chez d'autres autres familles de Symphypleones, les mâles sont en recherche quasi constante de femelles réceptives. La parade consiste alors en une longue série de stimuli assez frénétiques de la part du mâle, auxquels la femelle répond en s'enfuyant si elle n'est pas réceptive. Si elle est réceptive, la parade continue jusqu'à ce que le mâle soit assuré que la femelle est bien prête à recevoir le sperme. Alors seulement, il dépose un spermatophore que la femelle absorbe immédiatement avec son orifice génital. Le spermatophore est ainsi exposé à l'air libre durant une période très courte ce qui permet à ces familles de collemboles de coloniser des biotopes découverts allant de la prairie aux rocher ou à des zones plus arides.

Chez Bovicornia3un collembole d'Afrique australe, lors du premier contact (1), le mâle se positionne face à face avec la femelle, puis il entoure la tête de cette dernière avec ses antennes et effectue de petites rotations alternées avec sa tête pour stimuler la femelle. Lorsque qu'il la sent réceptive il effectue un demi-tour sur lui-même (2) afin qu'elle se retrouve face à ses parties génitales, c'est alors qu'il éjecte une gouttelette de spermatozoïdes prélevée immédiatement par la bouche de la femelle qui va ensuite la déposer au sol (3) avant de venir se poser dessus pour la mettre en contact avec ses partie génitales (4).

Il existe d'autres comportements spécifiques (vidéo : Deuterosminthurus pallipes) qui sont souvent dicté par la nature des biotopes dans lesquels évoluent les collemboles, avec cependant une constante, celle de ne pas être dispendieux en matière de ressources vitales. 

Le dimorphisme sexuel est peu perceptible chez les collemboles car il est peu marqué. Seule une observation détaillée des parties génitales permet cette détermination. L'unique dimorphisme que j'ai pu observer (hormis une plus petite taille qui caractérise parfois le mâle) se situe sur les antennes du mâle Sminthurides aquaticus (ci-dessous)4 qui vit généralement

sur l'eau en bordure de mares et des étangs.

Lors de la parade amoureuse le mâle met ses antennes en contact avec celles de la femelle. Puis, grâce à des sortes de crochets qui garnissent ses seconds et troisièmes segments antennaires, il  resserre légèrement ses propres antennes pour que les partenaires se retrouvent accrochés l'un à l'autre (Illustration ci-contre). Ensuite, la femelle redresse sa tête ce qui a pour effet de soulever le mâle. 

Au printemps j'ai l'occasion d'observer ce rituel qui se déroule sur l'eau de mares temporaires situées non loin de ma maison. Chaque fois, je ressens une certaine d'émotion, tant je ne peux rester indifférent à ce spectacle d'un "autre monde". Et bien qu'il se déroule à nos pieds, peu d'entre nous auront le privilège d'en être spectateurs.

La parthénogenèse que j'évoque en début d'article a lieu lorsque la femelle dépose des œufs qui n'ont pas été fécondés mais qui donnent naissance à une progéniture viable. La présence des mâles n'est alors plus nécessaire. Il est généralement admis que les collemboles qui se reproduisent de la sorte vivent pour l'essentiel dans des zones euédaphiques (sous terre, dans le sol). La plus connue des espèces parthénogénétiques est Folsomia candida (souvent élevé dans les laboratoires de recherche pour être utilisé comme marqueur écotoxicologie en raison de son cycle de reproduction très rapide, ce qui en fait également un cobaye standard.

Parmi les collemboles parthénogenétiques, Neanura muscorum, un Poduromorphe qui vit dans le sud-ouest de la France et que je rencontre fréquemment dans des lieux plutôt humides (image ci-dessus)4

Les œufs déposés sur le substrat se développent jusqu'à ce que l'embryon soit en état d'éclore. Il rompt alors une sorte d'opercule qui se trouve sur l'enveloppe qui le protégeait (chorion) et peut commencer à évoluer à l'air libre. Des mues successives lui permettront de devenir adulte. La vitesse de développement des œufs est essentiellement liée à la température. Par exemple, chez Entomobrya nivalis, le développement des œufs dure 25 jours à 9°C, 15 jours à 13°C et ne dure qu'une semaine à 20°C, répondant ainsi à une courbe durée/t° quasi linéaire.


Remarque : Chez certaines espèces comme anurida maritima (Poduromorphes) qui vivent dans les sables interstitiels en bord de mer, les adultes meurent tous à l'automne laissant leurs œufs sans protection pour assurer la descendance. Ce n'est qu'au printemps que ces derniers éclosent pour faire naître la nouvelle génération.  

Ci-dessous, un tableau6 donnant les dimensions des spermatophores de quelques espèces courantes. La valeur du ratio (colonne de gauche) peut permettre, à partir d'une photographie, de cibler une espèce même si on ne dispose pas d'échelle dimensionnelle.

 

1 "Le comportement reproducteur des collemboles" - J.M.Bestsch - article publié dans  Insecte -OPIE- N°77 1990

2 Allacma gallica et Sminthurus viridis - Betsch-Pinot (1977) - "Biologie of the springtails"- Stephen P.Hopkin - 1997

3 Bovicornia inspiré de "Springtails" - Keneth Christiansen - Emporia State University- Vol 39/n°1 - oct 1992.

4 Photos : spermatophoresminthurides aquaticus, neanura muscom, deutonura monticola  ©Philippe Garcelon.

5 Photos: (gauche)=recadrage de © Jan J van Duinen - (droite)= recadrage de: © Charles Krebs

6 D'après des mesures effectuées par : Schaller/Poinsot-Balaguer/Schliwa.