Petit historique* :

Pendant longtemps, l'étude des sols se réduisait essentiellement à des analyses, dans le but de déceler la présence et la concentration de divers composés chimiques. Mais les résultats obtenus ne nous disaient rien sur leur l'interaction entre ces substances et les organismes qui étaient en contact avec elles. Ce n'est que vers la seconde moitié de années 19501 qu'on voit apparaitre des études dans lesquelles le DDT est testé sur des populations de collemboles. Thomson et Goresont parmi les premiers à avoir utilisé les Folsomia candida pour tester 29 insecticides. Jusqu'à la fin des années 1980 d'autres espèces sont utilisées (folsomia fimetaria, onychiurus armatus, orchesella cincta). Ce n'est qu'en 1998 que Wiles et Krogh3 ont publié une étude conduite sur le modèle d'une norme ISO.

De nos jours, les collemboles jouent toujours un rôle non négligeable en tant que marqueurs écotoxicologiques, comme par exemple folsomia candida qui possède, entre autres, la particularité de bien se reproduire en laboratoire. En outre, le développement, la biologie et la reproduction de cette espèce ont fait l'objets de nombreuses études. C'est cette bonne connaissance que les scientifiques ont de ce dernier qui a conduit à en faire une espèce "standard". Utilisé dans de nombreuses expériences, il a conduit à l'établissement de la norme norme ISO 112674 qui détermine la qualité d'un sol en fonction de l'inhibition à la reproduction de cette espèce. Les tests effectués mesurent l’effet des substances chimiques sur le taux de reproduction des collemboles après leur exposition à un échantillon de sol naturel, comparativement à leur exposition à des sols enregistrant différentes concentrations de substances (non volatiles) dont on veut mesurer l'incidence (méthode nommée "spiking" qui signifie dopage en français).

Pour avoir une idée de la palette des substances testées, on peut prendre l'exemple du folsomia fimetera qui, dès 1990 a été utilisé pour tester les effets toxiques du cuivre, du nickel, des phtalates, des sulfonates d’alkylbenzène linéaires, du pyrène, du diméthoate, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des composés aromatiques polycycliques, des produits pharmaceutiques vétérinaires et des boues d’épuration... et la liste n'est pas exhaustive. .

Conséquences des effets de quelques substances:** 

  • Métaux : La pollution par les métaux occupe des périmètres défini par les activités qui s'y sont déroulées.  Ainsi sur d'anciennes gares de triage ou dépôts ferroviaires on retrouve des traces de cadmium, cuivre, nickel, plomb, zinc. Dans la périphérie d'anciennes mines le fer, le zinc, le cadmium et le cuivre prédominent. Chacun connait l'utilisation de ces métaux sauf peut-être celle du cadmium, qui entre dans la composition des accumulateurs (accus cadmium/nickel) ou dans la fabrication de peintures industrielles ou de revêtements antioxydants et qui est un des plus toxiques de la liste. Les effets des métaux sur les populations de collemboles réduisent la diversité des espèces par la migration ou la disparition de celles qui y résistent le moins. Il s'en suit une uniformisation dans la répartition espèces qui se traduit par une dégradation de la biodiversité.
  • Pesticides : L'utilisation de ces substances généralement efficaces contre leurs cibles, est un bon exemple quant à ce qu'elles peuvent induire en termes de dommages collatéraux. Les populations de collemboles qui ne sont généralement pas ciblées en sont pourtant les premières victimes et en particulier les espèces évoluant dans les zones euédaphiques dont les migrations pour fuir ces substances sont rendues plus difficiles et qui se retrouvent piègées sous les sols traités. De plus, ces populations seront à termes touchées directement par les infiltrations au cours desquelles les eaux de pluie vont entraîner les substances dans des zones plus profondes.
  • Déchets agricoles ou domestiques : On a longtemps considéré les déchets organiques comme bénéfiques pour les sols. Cependant, des épandages de lisier, fumier, compost ou boues résiduelles des stations d'épuration peuvent avoir, sur les communautés de collemboles, des effets inversement proportionnels aux bénéfices escomptés quant à la fertilisation des sols. En effet ils peuvent entraîner des concentrations nocives de substances dans les sols, alors que leur teneur dans les produits épandus était tolérable par les organismes avec lesquelles elles vont entrer en contact.

Tests de résistance intrinsèque :

Afin de bien connaitre le comportement des collemboles il faut dans un premier temps les étudier dans des milieux naturels (non pollués) en faisant varier des paramètres relatifs à leurs conditions de vie. C'est par exemple le cas dans une expérience dont j'ai repris deux graphiques ci-contre5 qui montre le comportement des collemboles Onychiurus justi qui évoluent dans un même substrat soumis à deux variables : la température et l'hygrométrie. L'expérience fut conduite en 1972 par Snider RJ. et Butcher et consistait pour des températures données, maintenues constantes, à faire varier le taux d'humidité.

Comme on le constate sur le premier graphique (T=10° C), un environnement "sec" (0 % humidité) induit la mort en moins d'une heure. À 80 % d'humidité, la durée de vie atteint passe à 4 heures, à 90 % elle atteint une dizaine d'heures et à 95% elle dépasse légèrement une semaine (L'échelle des temps est ici logarithmique). Il faut donc une humidité supérieure à 95 % pour que cette espèce puisse vivre normalement.

Sur le second graphique la température est fixée à 27° C. A cette température, l'espérance de vie en dessous de 90% d'humidité n'excède pas deux ou trois heures. A 95 % elle dépasse à peine 48h. Ce n'est qu'entre 95 et 100 % d'humidité que le collembole survit.

D'autres formes d'expérience peuvent être menées comme celle illustrées par le graphique ci-contre à droite6. Il montre la capacité de résistance comparant deux espèces d'Entomobryomorphes, Tomocerus minor et Tomocerus problematicus.

L'étude est simple, sans agir sur d'autres paramètres, on mesure la durée de vie des deux espèces, avec et sans alimentation. Pour Tomocerus minor qui vit à la surface des sols, on constate que, sans alimentation, la survie peut aller au-delà d'une dizaine de semaine pour un faible pourcentage d'entre eux (env 10%), la valeur médiane se situant plutôt autour de 6 à 8 semaines. Chez Tomocerus problematicus qui est une espèce troglodyte, les courbes s'étalent nettement plus dans la durée, ainsi sans alimentation 50 % d'entre eux peuvent vivre pendant quatre mois et 15% tiennent 6 mois. 

Un dernier exemple reprend un test de résistance aux rayons ultraviolets7 (qui correspond à une exposition au Soleil). Pour cela, on utilise deux substrats différents :

  • Un plateau en plâtre qui ne laisse aucune possibilité de fuir et qui soumet les sujets testés à une exposition constante.
  • Un substrat naturel (terre) dont les interstices peuvent offrir au collembole un refuge où il se protége du rayonnement.

Les populations sont soumises à 5 niveaux d'exposition allant de zéro jusqu'à 4 heures. Les deux graphiques ci-dessous montrent que la population testée sur un substrat de plâtre (graphique de gauche) indiquent rapidement une mortalité importante. Sur 30 Folsomia candida testés, une exposition d'une heure occasionnera près d'un tiers de morts dans les 72 heures qui suivent l'exposition. Pour 30 autres, soumis cette fois à une exposition de 4 heures, c'est la totalité de l'échantillonnage qui sera morte 72 heures plus tard. En revanche (graphique de droite) lorsque le collembole a une possibilité de repli (substrat naturel) le taux de mortalité se réduit considérablement pour se situer entre zéro et moins de 15% de morts avec l'exposition maximale.

Remarque : A l'issue de ces tests, les chercheurs ont remis les Folsomia candida dans des conditions d'élevage normales. Ils ont été surpris de constater que la quantité d'œufs produits par les ces derniers s'accroissait selon qu'ils avaient été exposés aux UV pendant des durées plus longues. Ce phénomène peut mettre en évidence qu'un accroissement du stress induit des comportements de survies à travers des efforts de reproduction.

Bien évidemment, je simplifie à l'extrême l'interprétation de ces résultats, faisant volontairement impasse sur les préalables comme l'âge de la population testée ainsi que les conditions de température ou d'hygrométrie qui font partie de la même expérience.

Les scientifiques ne peuvent pas aborder des tests fiables sans avoir initialement une bonne connaissance des caractéristiques intrinsèques de l'espèce qu'ils comptent utiliser. En effet, les facteurs propres à l'espèce testée viendront, si nécessaire, pondérer les résultats obtenus lors des divers test envisagés. L'utilisation du vivant en tant que donnée chiffrée nécessitant en effet davantage de précautions que si on utilisait exclusivement des outils mathématiques par exemple.

Test de résistance à des agressions extérieures :


L'exemple ci-dessous montre le comportement de Folsomia candida au contact du carbaryl qui est un insecticide et un régulateur de croissance utilisé dans l'agriculture pour freiner la chute des fruits. 

Ici, deux types de populations sont testés : Les juvéniles et les adultes sur une plage de concentration en carbaryl allant de zéro à 7 mg/kg de substrat durant une période de 28 jours. Comme le montre le graphique, les résultats sont édifiants. Avec une dose de 6 mg les populations sont réduites de moitié alors qu'avec 7 mg, ces dernières sont totalement décimées. On peut noter que, durant cette exposition, les collemboles ont continué de se reproduire ; entre 4 et 7 mg de concentration des différences significatives ont été enregistrées avec une population test (non exposée). En revanche 7 mg/kg représentent un seuil au delà duquel tout meurt. EC50 (concentration efficace) se situe à 5.1 mg/kg et LC50 (seuil létal) se situe à 5.4mg.

On comprend dès lors d'où proviennent les préconisations d'utilisation données par les fabricants de tels produits...

Prenons maintenant l'exemple de l'impact d'un herbicide comme le phnenmedipham (entrant dans la composition du Betanal vendu par le chimiste Bayer ou du Beetup 160 EC, commercialisé par le suisse Stähler). Notons que depuis 2020, ces dernier sont interdits d'usage en Europe (Règlement Anses  2019/1100 concernant le non renouvellement de l'approbation de ces substances). Il continuent cependant d'être utilisés dans des pays dont les législations sont moins contraignantes...

L'utilisation de cette molécule est préconisée pour les cultures de betteraves sucrières, betteraves à salades, et pour les cultures de fraises et d'épinards. Les diagrammes ci-contre à droite montrent l'incidence sur la survie et la reproduction d'une population de Folsomia candida. 

L'originalité de ce test réside dans le fait que des populations originaires de trois pays, PTG (Portugal), DNK (Danemark) et SPN (Espagne) ont été soumises à plusieurs concentrations de phnenmediphan. Les différences génétiques des trois souches ont été évaluées préalablement par "barcoding molléculaire". Des échantillons de population test de collemboles ont été préparés dans des conditions identiques. L'expérience a été conduite durant une période de 24 heures décomposée en 16 heures de lumière + 8 heures de sombre à une température de 20° C. Le premier diagramme montre qu'à partir de 10 mg/kg de concentration, le nombre de survivants commence à décroître et qu'à 20 mg/kg tous sont morts.

Pour les tests de reproduction, (alors qu'avec les populations non exposé les taux de survie se situent autour de 94%), on obtient des courbes non significatives en dessous de 5 mg/kg alors qu'au-delà, les courbes décroissent pour arriver à une capacité de reproduction nulle à 20 mg.

 

Remarque : Ces quelques exemples soulignent les effets néfastes de toutes ces molécules chimiques que l'agriculture utilise. On peut supposer que les impacts sur l'homme auront, à terme, de graves répercussions sur sa santé. Certes, les doses de ces substances qui entrent dans nos organismes sont peut-être infinitésimales relativement à notre masse corporelle, mais de même qu'elles s'accumulent dans nos sols, notre organisme les stocke jusqu'à ce qu'un jour, les concentrations atteignent des seuils fatals, à l'image de ceux qui tuent chaque jour des milliers de petits Folsomia candida dans les laboratoires de recherche du monde entier. Et que faisons-nous pendant ce temps-là ?  

 

* Je recommande la lecture d'une publication canadienne très complète sur le sujet: cliquer ici.

** je recommande également la lecture d'un article de Sandrine SALMON, Ingénieure au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris: cliquer ici.

 

1 "Soil Population Studies I. The effects of cultivation and treatment with insecticides"- Sheals JG. 1956. -  Bulletin of Entomological Research, 47: 802-822.

2  "Toxicity of Twenty-Nine Insecticides to Folsomia candida: Laboratory Studies" - Thompson AR. and Gore FL. 1972 - Journal of Economic Entomology, 65(5): 1255-1259.

3 "Tests with the Collembolans Isotoma viridis, Folsomia candida, and Folsomia fimetaria" - Wiles JA. and Krogh PH. 1998. In: "Handbook of Soil Invertebrate Toxicity Tests", John Wiley, London, pp. 131-156.

4 ISO 11267: Qualité du sol - Inhibition de la reproduction de Collembola (Folsomia candida) par des contaminants du sol. 

5 "Response of Onychiurus justi( Denis) to constant temperatures and variable relative humidity".  First Soil Microcommunities Conf. US - atomic Energy Commission: 176-184.

6 Schéma adapté de "Survival of collembola on clay substrates with or without food added" - K.Christiansen 1970

7 "Combines effects of carbaryl and abiotic factors toFolsomia candida" Diogo Filipe/Nunes Cardoso - Univ. de Aveiro - Dept de Biolologica