Cet article apporte des précisions sur une méthode de mise au point que j'ai développée spécifiquement pour les collemboles. La prise de vue macrophotographique à des rapports de grandissement élevés soulève en effet des difficultés techniques, que ce soit au niveau de la mise au point du sujet (map), de la très faible profondeur de champ ou des distances (minimales et maximales) particulièrement réduites entre le sujet et l’extrémité du montage optique (objectif + flash annulaire).

Pour ces raisons, il est indispensable d’intégrer quelques paramètres avant de se précipiter sur le déclencheur, bien que la réactivité du photographe soit tout aussi décisive en ultra-macro, qu’elle ne l’est en photographie animalière classique, lorsqu’on utilise un téléobjectif sur des cibles également mobiles.

J’évoque ici mon expérience de prises de vues macrophotographiques sur des sujets photographiés sans pied, in situ, et de taille millimétrique ou inférieure.

Introduction : 

On nomme macrophotographie, une image dont le grandissement ou grossissement (les deux termes sont utilisés) est au moins égal 1:1. Autrement dit, la projection de l’image du sujet, conserve sa taille originale sur le capteur de l’appareil photo. C’est au-delà de ce rapport que certains photographes utilisent le terme "ultra-macrophotographie"



Avec un capteur de 24 x 36 mm (full frame) et un rapport optique 1:1, sur un sujet mesurant quelques centimètres, le photographe peut être conduit à prendre du recul afin de faire rentrer son sujet sur le capteur. En revanche, avec le même rapport et pour des sujets de taille millimétrique ou inférieure, la surface du capteur ne sera pas correctement exploitée:

Le schéma ci-contre reproduit la projection, au rapport de grossissement 1:1, d'un collembole sur un capteur "full frame" agrandi, mais dont les proportions sont conservées (en réalité D=36mm et d = 2.5mm). Le collembole inscrit dans le petit rectangle en pointillé ne représente que 7.2% de la surface utile du capteur. Si ce dernier possède par exemple 20 millions de pixels (c’est le cas du Canon EOS7D Mark II que j’utilise), seuls 1,44 Mpx seront utilisés. Les 92.8% non exploités pouvant être en partie assimilés à de la perte. Une portion pourra cependant être dédiée à la création d’un « bokeh ». De plus, cette perte nécessitera un recadrage du sujet (pointillés rouges ci-dessous) qui s’accompagnera d’une dégradation significative de la définition de l’image.

L’exemple du collembole évoqué est pourtant loin d’être représentatif des sujets qu’on peut avoir à photographier au sein de l’embranchement des arthropodes. Une bonne part d’entre eux possède des tailles fréquemment inférieures à l'exemple ci-dessus, d’un facteur 5 à 10, ce qui réduit d’autant la part exploitable du capteur et accroit dans les mêmes proportions la dégradation de la qualité des images.

La prise de vue dans de telles conditions, si elle demeure toujours possible, devient donc quasiment inexploitable pour obtenir un résultat acceptable.

Dans la pratique :

L’amateur qui s’adonne à la macrophotographie et possède généralement un objectif macro « normal », se heurte en premier lieu à la distance minimale de mise au point. Par exemple, avec mon objectif Sigma 105 mm 1 :2.8, la distance minimale de mise au point est de 31.2 cm, ce qui est bien trop éloigné pour les sujets millimétriques dont je fais état.


Pour raccourcir cette distance minimale, on peut recourir à des bagues allonge, qui sont des tubes dépourvus de lentilles qu’on intercale entre l’objectif et le boitier. Ces bagues n’engendrent pas de dégradation de qualité, dans la mesure ou aucun élément ne s’intercale dans la ligne optique. Un autre avantage est leur faible coût et leur facilité de mise en œuvre. Elles permettent en outre de conserver les fonctionnalités et/ou automatismes de l’objectif comme l’autofocus ou les divers modes de stabilisation. Par exemple, l’adjonction de trois bagues allonge pour une longueur de 68 mm, permet de réduire significativement la distance minimale du macro 105 mm précité à quelques centimètres. Cependant cette réduction de distance minimale s’accompagne d’une réduction significative de la profondeur de champ et d’une perte de luminosité.


Une autre solution consiste à intercaler un multiplicateur de focale entre le boitier de l’appareil photo et l’objectif. J’ai pu tester un x1.4, doté de 5 lentilles traitées, qui transforme un objectif 105 mm en un 147 mm. Pour autant, en dépit de la qualité de ses assemblages optiques conçus pour limiter les défauts de géométrie, les lentilles d’un tel multiplicateur peuvent altérer les images au niveau du vignetage, des aberrations chromatiques ou du piqué.

Une troisième solution consiste à placer devant l’objectif une ou plusieurs bonnettes, qui sont des lentilles équivalentes à des loupes. Ainsi une bonnette (+3 dioptries) transformera un objectif 105 mm en un 178 mm. Peu onéreuses les bonnettes dégradent sensiblement les caractéristiques géométriques et chromatiques de l’image. Seules les bonnettes achromatiques plus onéreuses proposent un assemblage de deux lentilles (ou doublet) limite partiellement les défauts de chromatisme.

Outre ces adaptations qui permettent d’approcher les tailles millimétriques, beaucoup de photographes utilisent pour leurs macrophotographies des boitiers dotés de capteurs APSC de taille plus réduite (22.2 x 14.8 mm) que le full frame (24 x 36 mm). Cet écart de surface de capteur permet d’obtenir un rapport de grandissement résultant de x 1,6.

Quelques fabricants ont par ailleurs développé des objectifs dédiés à l’ultra-macro, mais un objectif domine cette niche, le Canon MP65. Ci-dessous à gauche en rapport 1:1 et à droite déployée au rapport 5:1.


« Revers de la médaille », lorsqu’on consulte les avis d’utilisateurs, on constate que bien des photographes sont déroutés par son utilisation, en partie pour les raisons suivantes :


• Distance au sujet très réduite (100 mm au rapport 1x et 40 mm à 5x).
• Profondeur de champ de : 0.134 mm (à f/8 et 5x) à 1.12 mm (à f/8 et 1x).  
• Pas d’autofocus ni de bague de mise au point.
• Pas de stabilisation optique.
• Encombrement de l'ensemble en position de fort grandissement.

On doit, en outre, prendre en compte le manque de lumière sur de si petites zones qui nécessite l’utilisation d’un flash et/ou d’une lampe d’appoint.
L’utilisation d‘un flash annulaire (fixé en tête l’objectif) réduit en outre la distance minimale de prise de vue (U) d’une valeur égale à son épaisseur.
Par exemple le flash annulaire que j’utilise (Canon 14 EXII) qui fait 25 mm d’épaisseur, réduit les distances minimales optique-sujet du MP65 à U= 75mm au rapport 1:1 et seulement 15 mm au rapport 5:1.

Un cumul de difficultés :

Ces problèmes pourraient être surmontées si d’autres facteurs, inhérents à la nature même des sujets à photographier, ne venaient s’ajouter à ceux déjà évoquées :

Hormis si on capture et tue le sujet pour l’immobiliser, ce qui n’est pas dans mes usages, à de très rares exception près (focus-stacking sur banc), la macrophotographie « in situ » se heurte à bien d’autres écueils:

• Sujets situés majoritairement au sol nécessitant de la part du photographe une position couchée ou accroupie inconfortable.
• Quasi-impossibilité d’utiliser d’un pied photo en raison de la mobilité des sujets.
• Sujets dotés de récepteurs sensoriels, chimiorécepteurs etc… qui déclenchent leur fuite lors de l’approche (n’oublions pas que la distance minimale utile est de l’ordre de d’une poignée de cm) imposant parfois la prise de vue en apnée !
• Sujets lucifuges qui cherchent à fuir, lorsque les lampes de visée LED du flash annulaire s’allument, ou lorsqu’on dégage les couches superficielles de litière pour atteindre les niveaux où ils évoluent.
• Le poids et l’encombrement du matériel sont aussi des facteurs à ne pas négliger, lorsqu’en appui sur les coudes ont doit également conserver la maitrise sur des mouvements d’une infime amplitude, rendus indispensables du fait que cet objectif ne dispose pas de bague de mise au point.

La super-macrophotographie de petits arthropodes cumule donc, à mes yeux, défis techniques et physiques, comme peu d’autres pratiques photographiques. A ce titre, elle est la plus éprouvante que je connaisse. Fort heureusement, elle offre l’accès à des dimensions encore peu explorées par l’amateur et procure des contreparties gratifiantes.

Quelques données en chiffres :

Passons en revue les difficultés que doit affronter le photographe. En premier lieu, les défis techniques illustrés par les tableaux ci-dessous relatifs à l’utilisation du Canon MP65. La perte de luminosité est directement liée au rapport de grandissement.

Ouverture efficace F = Ouverture objectif x (rapport de grandissement +1)

Ainsi, l’objectif MP65 qui dispose d’une ouverture de 2.8 aura, avec un grandissement de 2, une ouverture efficace de : 2.8 x (2+1) = 8.4.


Le tableau ci-dessus ne vaut que pour une ouverture de 1 :2.8. Ci-dessous,  les ouvertures réelles pour toutes les valeurs de diaphragmes sélectionnées.



Par exemple, si on règle l’unique bague de l’objectif MP65 sur un rapport X4 et le diaphragme à F11, l’ouverture efficace sera de 55. Ce qui confirme le caractère incontournable d’une source de lumière extérieure.

Tableau de profondeurs de champs.

Ce tableau peut s’avérer déroutant, car en conservant les réglages précités (rapport 4 :1 et F11) la profondeur de champ n’est que de 0.247mm !


Comment effectuer une mise au point avec une si courte plage, sans support pour l’appareil ni bague sur l’objectif ?

Seule une translation sur l'axe optique permet en principe d’y parvenir. Mais avec la partie avant de l’optique reposant dans la paume d’une main posé elle même sur le sol et le boitier tenu par l’autre main, des mouvements rectilignes de quelques dixièmes de millimètres sont très difficiles à effectuer. Sans compter que la plus imperceptible erreur de mouvement remet tout en cause. N’oublions pas que nos cibles sont souvent mobiles et promptes à sauter ou à s’enfuir. A de forts grossissements, le moindre souffle devient un ouragan et le plus infime mouvement du photographe un séisme !

Solutions spécifiques :

La pratique m’a permis de développer une technique que je nomme "Déclenchement intuitif" qui repose sur 3 phases :

• Réglage d’approche de la mise au point en position « de face ».

• Légères translations latérales alternées du boitier (flèches jaunes sur le schéma ci-dessous) se traduisant par des rotations autour de « l'axe pivot » (situé sous le flash annulaire soutenu par la paume de la main gauche).


• Appui sur le déclencheur à la fin de la zone « d’approche », lorsque la visée arrive sur la zone « map » situé au sommet d’une courbe de Gauss imaginaire qui marque précisément le point de  « map » idéale ( schéma ci-aprés)

En pratique l’ajustement de la map en cours de translations alternées devient intuitif, grâce à l’utilisation de la vision périphérique de l’œil 25 à 30 fois plus rapide que la vision centrale. En effet, la vision périphérique envoie vers notre cerveau jusqu’à 100 images par seconde alors que la vision centrale nécessite une « fixation » de l’œil sur son sujet durant 200 à 400 millisecondes.

Le croquis ci-dessous* illustre cette technique de mise au point qui permet d’obtenir une infime translation à partir d’un mouvement latéral de plus grande amplitude et donc plus aisé à réaliser. Cet effet de démultiplication permet d’obtenir des map précises. Une fois acquis, les mécanismes deviennent réflexes et rapides à exécuter.

Commentaires :

C = C1 : Distance entre le capteur et la face avant de la lentille frontale de l’objectif. 
C étant donné égal à C1, le triangle représenté par C, C1 et la base T constituant la translation, est isocèle. Le sinus de l’angle au sommet est égal à T/C. Deux angles opposés par le sommet sont égaux donc α1 et α2 sont égaux. α2 est un triangle rectangle dont le sinus de l’angle au sommet est égal à T/C. Le cosinus de cet angle est donc 1-(T/C)2. Il en résulte que :

d1 = d / 1-(T/C)2

Exemple :

Les caractéristiques de l’objectif MP65 donnent différentes valeurs de map selon le grandissement retenu, soit :

• Rapport 1:1 = 105 mm
• Rapport 2:1 = 73 mm
• Rapport 3:1 = 68 mm
• Rapport 4:1 = 60 cm
• Rapport 5:1 = 55 mm

Si on applique la formule ci-dessus avec un diaphragme ouvert à f/8, un grandissement à x3, C ≈ 210 mm et d ≈ 68 mm et si on effectue des translations alternées (+10mm/-10mm) par rapport au point map, soit T≈ 20 mm, on obtient une distance d1 de :

68/1-(20/210)² = 68.622

L’amplitude des mouvements de translation du boitier aura une incidence sur la variation de distance de l’objectif au sujet de (68.622-68.0)=0,622 mm. Si on se réfère au tableau des profondeurs de champ (ci-dessus), pour ces mêmes paramètres de prise de vue, cette variation de 0.622 mm représente 250% de la profondeur de champ. On peut en déduire qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer des translations d'une amplitude aussi importante.


J'ai donc élaboré les tableaux ci-dessous en considérant T comme la variable permettant d’approcher de 100 % de la profondeur de champ.


NB : En référence à la courbe de gauss , on notera qu’une valeur T =16 mm sur ce tableau signifie une translation alternée de +8mm/-8mm du boitier.

 

Ci-après, exemple de mise au point effectuée sans piètement en pointant par cette méthode sur l’ocelle d’un Deutonura dont le diamètre est compris entre 20 et 25 microns.

 

Mes paramètres fréquents de prise de vue avec le MP65 :

Le réglage d’ouverture F11 est un bon compromis si on utilise un flash annulaire, il permet d’optimiser la distance focale sans trop altérer le piqué qui se dégrade sensiblement au-delà de F14. Vitesse d’obturation 250 centièmes de seconde (synchro maximale avec eos7D MKII). Pas de multiplicateur de focale ni de bague allonge.

 

 

Sources : Merci à Serge Rochain qui à vérifié ma méthode en l'a traduite en un schéma de principe et une relation permettant de lier translation du boitier et écart de distance (d1-d) sur l’axe optique.

https://www.editions-complicites.fr/pages-auteurs/serge-rochain/

https://www.istegroup.com/fr/auteur/serge-rochain/